Un enfant se lève le matin
Seul dans sa chambre
Silence de mort
Personne autour de lui
Dans un monde plus grand que lui
Un monde aux mille visages
De purs étrangers
L’enfant observe par la fenêtre
Pas de main sur son épaule
Pas de petit déjeuner
Pas de « je t’aime, mon garçon »
Il est seul au monde
Il fait son lit la mine basse
Plie ses couvertures
Prend au vol une banane
Et sort dehors affronter la vie
Personne pour le prendre sous son aile
Excepté des vautours aux dents sales
Ou des aigles royaux
Pour lui donner des ordres impériaux
Personne pour le défendre
Cet enfant seul au monde
Pour prendre à coeur son intérêt
Chacun défend son propre fort
Qui pour m’aider ?
Qui pour me soutenir ?
L’enfant finit par trouver un boulot
Un travail minable pour le minable
Nabot, lui crie le contre-maître
Dix heures par jour
Je suis ton maître
Et ton bienfaiteur
Son titre de maître
C’est celui du bourreau
Ce qu’il appelait la bienfaisance
Ne pas le tuer
L’enfant rentre le soir chez lui
Déçu et abattu
Défait par la vie
Point de rêve devant lui
Si le maître a sur lui ascendance
Dix heures par jour
Il a aussi prise sur lui
Le soir dans son esprit
Reste plus qu’à s’endormir
Le ventre vide
Juge l’enfant plein de raison
La nuit porte conseil
Et voilà que dans ses rêves
Qui se mutent en cauchemar
Il voit le visage du contremaître
Qui lui rugit de se lever
La vie est un calvaire
Un cycle ininterrompu
De vaines actions
Et d’amères déceptions
L’enfant le sait bien
Lui qui grandit si mal
Rachitique et frêle
Avec un bourreau obèse sur son dos
Fais-ci, fais cela
Surtout, ne fais pas ça
Pauvre ingrat
Maudit nabot
L’enfant baisse la tête
Il n’a que le contremaître
Dans sa vie de misère
Pour ne pas être seul
Un jour pourtant
Sur le chemin du retour
Depuis l’usine fumante
Il est frappé d’une vision
De l’autre côté de la route
Un garçon de son âge
Pas plus grand que lui
Mais bien plus souriant
Il le voit dans ses yeux
Ses yeux qui brillent de mille feux
Il sautille sur le trottoir
Un petit sac dans sa main
L’enfant détourne le regard, confus
Fonce droit chez lui
Enfin un mystère
À cette vie de misère
Vais-je dormir ce soir ?
Se demande l’enfant seul
Il peine à le faire
Il a soudain espoir
Cet enfant sur le chemin
Me ressemblait tellement
La même forme, le même corps
Mais un sourire si éclatant
Demain je le suivrai
SI je peux le retrouver
Demain après le travail
Je saurai percer son secret
Et il se couche
Le ventre vide
Mais chose nouvelle
C’est d’espoir qu’il s’endort
Qu’as-tu nabot ?
Lui crie le bourreau
Je n’ai rien, monsieur
Dit l’enfant en baissant la tête
Non tu as quelque chose
Maudit nain
Je te paie pour travailler
Et je te vois sourire ?
C’est vendredi, monsieur
Et alors ?
Demain, c’est congé
C’est pour ça que tu me ris au nez ?
Pardonnez-moi monsieur
C’est seulement
J’ai décidé avant la nuit
D’aller me promener
En attendant, travaille
Maudit nabot
Je revois ton sourire
Je l’enterre avec toi
L’enfant serre les poings
Baisse la tête
Retrouve sa mine affreuse
Rien que pour plaire à son maître
Ce soir je le suivrai
Cet être qui me ressemble
Peut-être a-t-il un secret
Je le découvrirai
L’enfant travaille alors
Avec acharnement
Puis s’en va chercher son salaire
Des piécettes pour survivre
Au revoir monsieur
Adieu nabot
Adieu, si seulement
Se dit l’enfant en partant
Il est là, cet être beau et joyeux
L’enfant se prend à l’admirer
Il marche tout bonnement
Et semble savoir où se diriger
L’enfant traverse la rue
Sans se faire voir
Il suit le garçon qui sautille
Sur un chemin inconnu
Il le voit sortir de la ville
Traverser un champ immense
Verdoyant, aux fleurs de printemps
L’enfant le suit sans hésiter
Il le voit finalement s’arrêter
Cueillir un bouquet de fleur
Continuant son chemin
Vers une maison au pied de la montagne
L’enfant s’approche encore
Se cache dans les buissons
Il voit la porte s’ouvrir
Et une belle dame en sortir
« Emmanuel », dit-elle
Avec un sourire enivrant
« Tiens maman
Ces fleurs sont pour toi »
L’enfant pleure dans son coin
Confus et triste
Que faire ?
Dans son coeur, il hésite
Et si je cognais à leur porte
Et si je me faisais inviter
Rien que ce soir
J’ai tant de questions à poser
Quelque chose pourtant le tire
Vers l’arrière
Mais il se ravise bien
Derrière, c’est la mort ou la misère
Il s’en va donc
Qu’a-t-il à perdre
Un autre refus
Ne serait pas la première fois
Qui est-ce ?, demande une douce voix
Bonjour, je suis perdu
Comment appelles-tu ?
C’est drôle, l’enfant ne le sait même pas
La porte s’ouvre toute grande
La même dame se trouve devant lui
Belle et splendide, elle l’illumine
N’as-tu pas un nom ?
Non, avoue l’enfant
En fait, si, j’en ai un
Je ne sais pas ce que cela veut dire
Mais on m’appelle le nabot
Ou bien le nain
L’enfant perdu, que sais-je
J’ai faim vous savez
Et j’ai ceci pour vous
Il a dans ses mains quelques fleurs
Il a vu les yeux de la belle dame
Se remplir de lumière
Quand le garçon lui donna son bouquet
Elle prend les fleurs et les hume
Sourit, de ses dents blanches et immaculées
Viens mon garçon
Viens avec nous manger
L’enfant bondit dans son coeur
C’est bien la première fois
Merci madame
Et il entre dans la demeure
La table est déjà mise
Il y a quatre bols de soupe
Et quatre beaux morceaux de pain
Et quatre chaises sont tirées
Bienvenue, lui dit une voix rude
Rude mais apaisante
C’est le père, qui sourit
Ses yeux pétillants
Assieds-toi, lui dit la mère
Mettant sur son épaule une main
Qui le réchauffe jusqu’à son coeur
Assieds-toi, nous t’attendions
Comment est-ce possible ?
Se demande l’enfant
C’est vrai qu’il y a quatre couverts
Et ils ne sont que trois
M’attendiez-vous vraiment ?
Demande perplexe l’enfant
Pas seulement aujourd’hui, lui dit le père
Mais depuis si longtemps
Nous te connaissons
Nous t’avons porté
Mais toi tu as oublié
Et tu nous as quittés
Tu as voulu vivre seul ta vie
Et l’amnésie de toi s’est saisi
Tu t’es retrouvé seul
Dans une chambre de misère
Depuis lors tu galères
Tu penses être seul au monde
Toi et ton vil contremaître
Mais de loin nous t’attendions
Chaque soir, nous mettions pour toi
Ce bol de soupe bien chaude
Chaque nuit, mon fils
Ton lit douillet de toi se languissait
Et ton frère que voici
Chaque jour il passait près de toi
Pour te rappeler à toi-même
Pour t’indiquer le chemin
Mon fils, dit le père
Tu as retrouvé ta famille
Viens dans mes bras
Je te murmurerai ton nom
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